Article de « Le Monde » publié le 06 juillet 2019
Le cinéaste, âgé de 87 ans, est venu à La Rochelle pour la rétrospective consacrée à l’acteur, avec qui il a tourné notamment « L’Homme-Orchestre ».
Louis de Funès et Noëlle Adam dans « L’Homme-orchestre », de Serge Korber (1970). Gaumont
On ne sait plus qui est Serge Korber, cinéaste déconcertant au parcours en dents de scie. Agé de 83 ans, il est venu au festival de La Rochelle pour accompagner L’Homme-Orchestre (1970), l’un des films les plus atypiques de la carrière de Louis de Funès, avec Sur un arbre perché (1971), dont il se trouve être également l’auteur. On découvre en cet homme une ligne de vie hasardeuse et extravagante. Serge Korber égrène les miracles comme d’autres les banalités, évoquant une réalité à ce point arrangeante qu’on pourrait parfois la croire arrangée. Le charme équivoque d’une époque cinématographique révolue.
Qu’est-ce qui vous a conduit au cinéma ?
Ma mère, tous les jeudis, au cinéma Jeanne d’Arc, boulevard Saint-Marcel, à Paris. L’affiche importe peu, c’est un délice à chaque fois. Sinon, je suis autodidacte. Enfant caché durant la guerre au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), je reprends une scolarité normale à l’âge de 10 ans, et je l’arrête à 14 parce que dans un foyer de 9 enfants et avec un père cordonnier, il faut se mettre au boulot. Plus tard, j’ouvre, avec une bande d’amis, un cabaret à la Contrescarpe à Paris, Le Cheval d’or. Bruno Coquatrix m’y remarque, et m’engage comme homme à tout faire à l’Olympia. J’y tourne bientôt un petit film pour introduire sur scène Jean-Marie Proslier qui a son petit succès. Jacques Tati, qui l’a vu, m’approche pour que je participe au spectacle qu’il met en scène à l’Olympia à partir de son film Jour de fête (1949).
Votre vie ressemble à un écheveau miraculeux. Et le cinéma là-dedans ?
J’y viens. C’est encore une histoire de rencontres. Dans les années 1950, je fréquente assidûment la Cinémathèque française, je deviens rapidement copain avec Truffaut et Chabrol. Truffaut m’engage plus tard dans sa maison de production, Les Films du Carrosse, comme assistant-réalisateur, puis me présente au producteur Pierre Braunberger, qui accepte de produire mes courts-métrages. Arrive évidemment le jour où il refuse. Alors que je redescends de chez lui, je tombe sur Marin Karmitz, auquel je raconte ma mésaventure en même temps que l’histoire du film. Il décide de le produire. Même chose avec Agnès Varda. Je passe des vacances à Sète, je sympathise avec elle, elle m’engage comme stagiaire sur La Pointe courte,puis m’offre un rôle dans Cléo de 5 à 7…
Après l’échec commercial de votre premier long-métrage, « Le 17e ciel », vous choisissez assez vite, encouragé par Michel Audiard, la voie de la comédie populaire…
Oui, ce qui me vaut de rencontrer Louis de Funès. Il avait adoré Un idiot à Paris, que j’avais réalisé en 1967 avec Jean Lefèbvre. Il demande à Alain Poiré, qui m’avait fait signer pour trois films à la Gaumont, de me rencontrer. Je le vois sur le plateau d’Hibernatus, et je tombe sous le charme. Surtout, je saisis l’occasion d’accomplir avec lui un vieux rêve américain, une comédie musicale. De Funès adorait la musique, il avait visiblement envie de sortir de sa routine avec un jeune réalisateur, les choses se sont passées à merveille. En revanche, je me fâche avec mes amis de la Nouvelle Vague, qui m’en tiennent rigueur.
Et vous remettez ça aussitôt avec « Sur un arbre perché »…
Oui, enfin, je n’y tenais pas plus que ça, je destinais le film à Yves Montand et Annie Girardot. C’était quand même trois personnages coincés dans une voiture, une sorte de fable beckettienne appliquée au régime politico-médiatique de l’époque. Mais de Funès lit le scénario et me dit que c’est pour lui !
Ces films ont-ils marché ?
Oui et non. Ils ont fait chacun un peu plus de deux millions d’entrées. Mais l’étiage de l’époque avec de Funès, c’était quand même le double…
Et puis vous embrayez sur le porno, en commençant avec « L’Essayeuse » en 1975. Pourquoi ?
Bon, j’en avais un peu assez de la comédie. Le porno, à vrai dire, est parti d’un pari un peu stupide qu’on a fait avec Truffaut et Chabrol en tirant au sort. L’idée était de faire reculer la censure. Le film était autoproduit, et les distributeurs, UGC et SND, très demandeurs. Mais L’Essayeuse est tombé au mauvais moment. Il a servi de banc d’essai aux ligues de vertu et au classement X. Il a été interdit, sa copie détruite, et moi condamné à une lourde amende. Je ne regrette rien, c’était très amusant à faire, il n’y avait aucun vice.
Par Jacques Mandelbaum